(...)
Publié le 20 Janvier 2009
"Je m'étais assis pour me reposer sur une poubelle fermée et, relevant les
yeux, je l'ai vu: un long mur de béton que les moisissures de l'été et des
champignons de salpêtre festonnaient comme un rideau de théâtre. Sur
toute la longueur du "décor", le trottoir providentiellement surélevé formait
une sorte de scène, et tous ceux qui y passaient étaient bon gré mal gré
transformés en "caractères", amplifiés comme un écho, projetés dans le
comique ou dans l'imaginaire. Je me suis dit: c'est la fatigue. J'ai fermé les
yeux un moment. Quand je les ai rouverts, ça continuait à défiler, comme
les personnages toujours plus nombreux d'une histoire racontée dans une
langue étrangère. Je suis allé regarder de plus près: la surface était d'une
belle matière veloutée, celle d'un vieux pot sorti du four. Entre les trous de
coffrage et quelques graffitis indécis, une main enfantine mais résolue avait
écrit baka (imbécile). Je l'ai pris pour moi: j'avais du passer cent fois là
devant sans rien voir."
(Nicolas Bouvier)